Dedicado a mis colegas de Europa, con mucho cariño:
En cette période de rigueur où
tout a un sens et même plusieurs, volontairement contradictoires, où la
politique est devenue un simple constat de chaos, et où toutes les factions
n'ont plus pour argument-massue que la prétendue incompréhension totale de
l'opinion, en cette période où les économies se déjugent, où les experts se démettent,
où ceux qui ne croient plus a rien se font un monde de tout pendant que le
monde lui-même déménage et cherche ailleurs, il est bon de revenir aux fausses
logiques du Nonsense, aux mots qui se dédisent, comme des cochons contrariants.
L'Absurde,
comme Zorro, est enfin arrive, la
où on l'attendait. Le voilà installé, incrusté dans les mœurs, où il est entre
sur la pointe des pieds. Il a droit de cité, il n'y a même plus que lui qui
fasse sens. On assiste aujourd'hui a sa démocratisation, a son
institutionnalisation. Les causeurs, les amuseurs et les commentateurs
avalisent le fait que décidément, on ne comprend plus rien a rien. Les auteurs réunis
dans ce blog l'ont su, l'ont dit avant tout le monde, et se sont ébroués dans
cette confusion, lis en ont fait un Art.
Si
vous avez un baton, je vous en donnerai un
Si
vous n'en avez pas, je vous le prendrai
Proverbe zen.
On peut faire dire ce que Von vent aux deux phrases qui précèdent. La sagesse des nations, belle inconnue voilée, cultive le mystère et fait bonne ferraille du rationnel, qu'elle récupère pour son usage secret. Elle retrempe l´humour et tempère volontiers notre tendance au chauvinisme de ses axiomes globe-trotters parce qu'elle ne s'éloigne jamais de son inverse immédiat: le trésor des anti-proverbes, des vérités contradictoires, des maximes minimales et des dictons factices la rééquilibre en une sorte de fol esperanto. C'est comme si le discernement, la saine appréciation des choses se doublaient automatiquement d'une course buissonnière, d'une caracolade sur les sentiers qui garantit a tout le moins une saine circulation du sens vers les confins de la pensée.
C'est ainsi que nous pouvons dire sans redouter l'erreur que «le cœur au ventre est dur d'oreille», que «les fous sont les yeux du cœur», ou encore affirmer: «Qui dort d'un œil dîne de l'autre», «comme on fait sa couche on se lit», ou «le jeu n'en vaut ni la chandelle ni les deux bouts». Personne ne nous contredira.
Nous atteignons peut-être un âge du nonsense. Cette grâce typiquement anglo-saxonne presque indéfinissable (mais que nous définirons tout de même un peu plus loin) frappe finalement notre entendement français si prosaïque et si ratiocineur. Le chaos financier et social où nous sommes, balayant les mécanismes burlesques nationaux les plus lénifiants (la fameuse ironie à la française) défoule-t-il enfin chez nos compatriotes, sous une forme plus spontanément irrationnelle les inquiétudes latentes en un culte soudain du sens dessus-dessous ? Je ne suis pas loin de le croire.
On suit que le nonsense se manifeste de préférence en période de récession économique, de dépression monétaire et d'injustice sociale, lorsque la pesanteur des iniquités vitales libère les esprits du sens de gravité. Né avec Edward Lear et Lewis Carroll dans les affres de l'industrialisation anglaise, il a atteint son second palier pendant le grand Crash américain de 1929, pour donner naissance à une vague littéraire plus ou moins nihiliste où proliférèrent des auteurs effrénés et déments comme Donald Ogden Stewart, Ring Lardner, Robert Benchley, Gelett Burgess, Chase Taylor, Stephen Leacock, James Thurber. Dans leur sillage le cinéma, découvrant slapstick (métaphore explosive du total dérèglement) vit déchaîner la folie anarchiste des frères Marx ou de W.C. Fields, dont les vagues s'amenuisèrent dans le badinge folâtre et débonnaire des comédies loufoques de l'ère roostveltienne. Plus près de nous le phénomène contestataire, au rajeunissement des sociétés de consommation, engendra l’escapade psychédélique de toute une génération en proie au «trip» et les divagations beatlemaniaques de John Lennon, qui amorcent un retour en boucle a l'âge d'or nonsensique.
Cependant la France cartésienne, giralducienne, claudélienne (malgre quelques isolés bienheureux peut-être un peu cosmopolites) boudait obstinément le nonsense. Et put après une longue clandestinité pendant laquelle l'image du rire français restait figée sur Courteline, Feydeau, Tristan Bernard, Sacha Guitry et les tenants du bon vieux sarcasme gallique, feutré ou furibard, il apparut que l'absurde était enfin entré dans les mœurs de ce pays. On réévalua des précurseurs mésestimes, Alphonse Allais, Cami, Pierre Dac, les universitaires firent la tardive découverte de Sylvie et Bruno et Ionesco fut de l'Académie Le cabaret, le music-hall, théâtre accueillirent comme des enfants prodigues quelques monomaniaques insensés en rupture de boussole comme Romain Bouteille, Raymond Devos, Bernard Haller, les Frères Ennemis ou Roland Dubillard. Les spectateurs de cinéma plébiscitèrent soudain massivement des styles de comique q jusqu'alors ne déridaient qu'une élite aux gouts très internationaux, disons Woody Allen ou les Monty Python. W.C. Fields promu au rang de classique après un demi-siècle de ghetto art-et-essai devint une vedette de la télévision en sous-titre. Les Français devinrent plus sensibles a certaines pensées sans langage, a certains travestis du vide et de l'incompétence, à l'énoncé infatigable de fausses éruditions: copieusement inutiles. Ce livre-ci en fera le provisoire recensement. N'introduirait-il au lecteur non prévenu que Spike Milligan, Donald Ogden Stewart, N.F. Simpson qu'on le pourrait considérer comme un bébé joufflu, ou le gourdin virtuel dont parlait ci-dessus l'anonyme sage zen.
On n'y retrouvera pourtant point d'auteurs russes, espagnols, allemands ou italiens. Il y a certes dans la tradition espagnole des fous baroques, en Allemagne des insensés lyriques, et au-delà des Alpes de grands hâbleurs napolitains.
Mais ils ne courtisent pas l’absurde pour l'absurde comme les Anglais, ou ces Français que je cite ci-après et qui ont un peu la tète anglaise. Allais, Soupault, Mesens ou Pawlowsky ont préparé ou consomme l'Entente Cordiale. Ils rudoient le cartésianisme où Lear et Calverley triturent le common sense, où Graham et Lennon assassinent l’Establishment. Deux peuples ultra-logiques et douillettement bourgeois dépourvus de furia, d'angst ou de fanatisme, contrarient de concert leurs institutions, leur culture et leur «caractère». C'est affaire d'échappée vitale.
Le nonsense atteignant, à son plus haut degré, l'inexprimable, je ne me ferai pas faute de clore ici cette préface comme je l'avais ouverte, par un apologue zen que vous aurez loisir de méditer. Un moine vint, dit-on, trouver le sage Chou-Chan et lui demanda: «Je vous en prie, jouez-moi donc un air sur une harpe sans cordes.» Chou-Chan se tut un bref instant et dit: « Est-ce que tu l'entends ? — Non, je ne l'entends pas. — Et pourquoi, dit le maitre, ne l'as-tu pas demande plus fort ? »
C'est ainsi que nous pouvons dire sans redouter l'erreur que «le cœur au ventre est dur d'oreille», que «les fous sont les yeux du cœur», ou encore affirmer: «Qui dort d'un œil dîne de l'autre», «comme on fait sa couche on se lit», ou «le jeu n'en vaut ni la chandelle ni les deux bouts». Personne ne nous contredira.
Nous atteignons peut-être un âge du nonsense. Cette grâce typiquement anglo-saxonne presque indéfinissable (mais que nous définirons tout de même un peu plus loin) frappe finalement notre entendement français si prosaïque et si ratiocineur. Le chaos financier et social où nous sommes, balayant les mécanismes burlesques nationaux les plus lénifiants (la fameuse ironie à la française) défoule-t-il enfin chez nos compatriotes, sous une forme plus spontanément irrationnelle les inquiétudes latentes en un culte soudain du sens dessus-dessous ? Je ne suis pas loin de le croire.
On suit que le nonsense se manifeste de préférence en période de récession économique, de dépression monétaire et d'injustice sociale, lorsque la pesanteur des iniquités vitales libère les esprits du sens de gravité. Né avec Edward Lear et Lewis Carroll dans les affres de l'industrialisation anglaise, il a atteint son second palier pendant le grand Crash américain de 1929, pour donner naissance à une vague littéraire plus ou moins nihiliste où proliférèrent des auteurs effrénés et déments comme Donald Ogden Stewart, Ring Lardner, Robert Benchley, Gelett Burgess, Chase Taylor, Stephen Leacock, James Thurber. Dans leur sillage le cinéma, découvrant slapstick (métaphore explosive du total dérèglement) vit déchaîner la folie anarchiste des frères Marx ou de W.C. Fields, dont les vagues s'amenuisèrent dans le badinge folâtre et débonnaire des comédies loufoques de l'ère roostveltienne. Plus près de nous le phénomène contestataire, au rajeunissement des sociétés de consommation, engendra l’escapade psychédélique de toute une génération en proie au «trip» et les divagations beatlemaniaques de John Lennon, qui amorcent un retour en boucle a l'âge d'or nonsensique.
Cependant la France cartésienne, giralducienne, claudélienne (malgre quelques isolés bienheureux peut-être un peu cosmopolites) boudait obstinément le nonsense. Et put après une longue clandestinité pendant laquelle l'image du rire français restait figée sur Courteline, Feydeau, Tristan Bernard, Sacha Guitry et les tenants du bon vieux sarcasme gallique, feutré ou furibard, il apparut que l'absurde était enfin entré dans les mœurs de ce pays. On réévalua des précurseurs mésestimes, Alphonse Allais, Cami, Pierre Dac, les universitaires firent la tardive découverte de Sylvie et Bruno et Ionesco fut de l'Académie Le cabaret, le music-hall, théâtre accueillirent comme des enfants prodigues quelques monomaniaques insensés en rupture de boussole comme Romain Bouteille, Raymond Devos, Bernard Haller, les Frères Ennemis ou Roland Dubillard. Les spectateurs de cinéma plébiscitèrent soudain massivement des styles de comique q jusqu'alors ne déridaient qu'une élite aux gouts très internationaux, disons Woody Allen ou les Monty Python. W.C. Fields promu au rang de classique après un demi-siècle de ghetto art-et-essai devint une vedette de la télévision en sous-titre. Les Français devinrent plus sensibles a certaines pensées sans langage, a certains travestis du vide et de l'incompétence, à l'énoncé infatigable de fausses éruditions: copieusement inutiles. Ce livre-ci en fera le provisoire recensement. N'introduirait-il au lecteur non prévenu que Spike Milligan, Donald Ogden Stewart, N.F. Simpson qu'on le pourrait considérer comme un bébé joufflu, ou le gourdin virtuel dont parlait ci-dessus l'anonyme sage zen.
On n'y retrouvera pourtant point d'auteurs russes, espagnols, allemands ou italiens. Il y a certes dans la tradition espagnole des fous baroques, en Allemagne des insensés lyriques, et au-delà des Alpes de grands hâbleurs napolitains.
Mais ils ne courtisent pas l’absurde pour l'absurde comme les Anglais, ou ces Français que je cite ci-après et qui ont un peu la tète anglaise. Allais, Soupault, Mesens ou Pawlowsky ont préparé ou consomme l'Entente Cordiale. Ils rudoient le cartésianisme où Lear et Calverley triturent le common sense, où Graham et Lennon assassinent l’Establishment. Deux peuples ultra-logiques et douillettement bourgeois dépourvus de furia, d'angst ou de fanatisme, contrarient de concert leurs institutions, leur culture et leur «caractère». C'est affaire d'échappée vitale.
Le nonsense atteignant, à son plus haut degré, l'inexprimable, je ne me ferai pas faute de clore ici cette préface comme je l'avais ouverte, par un apologue zen que vous aurez loisir de méditer. Un moine vint, dit-on, trouver le sage Chou-Chan et lui demanda: «Je vous en prie, jouez-moi donc un air sur une harpe sans cordes.» Chou-Chan se tut un bref instant et dit: « Est-ce que tu l'entends ? — Non, je ne l'entends pas. — Et pourquoi, dit le maitre, ne l'as-tu pas demande plus fort ? »
Je vous le demande : pourquoi ?
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